Les villages ont besoin d’eau pour se développer. Non seulement pour étancher la soif des résidents et satisfaire leurs besoins hygiéniques, mais aussi parce que le pouvoir hydraulique permet d’alléger de nombreuses tâches. L’idéal pour un fermier est de repérer une source dont l’eau se rendra par gravité à ses installations. Cela lui évite de creuser un puits ou de pomper l’eau. Les cours d’eau dont le débit est suffisant pour faire fonctionner des moulins sont recherchés et vite harnachés.
Les moulins, source de développement
Avant même la concession officielle du canton de Sutton en 1802, à la fin des années 1790, des moulins à grain et à bois chevauchent la rivière Sutton à Shepard’s Mills, aujourd’hui Abercorn, et sur la propriété de William Huntingdon au cœur du village de Sutton, près de la jonction actuelle des rues Principale Sud et Mountain. En 1814, Stephen Westover construit des moulins à grain et à bois sur un ruisseau au pied du Mont-Écho. Le ruisseau Brookfall, les ruisseaux Eastman et Dufur à Glen Sutton ont aussi accueilli des moulins.
Il ne reste pas de vestiges de ces premiers moulins bien que certains aient été remplacés comme à Abercorn. De nouveaux moulins se sont ajoutés dont celui construit par Omie Lagrange en 1846, sur la rivière Sutton à la hauteur de l’actuelle rue Highland. Omie Lagrange, qui exploite déjà des moulins à Frelighsburg, appartient à une famille de meuniers. On peut comprendre que la chute de la rivière Sutton à cet endroit ait séduit son œil expert.
Le moulin Lagrange est un moulin à grain. Au début des années 1860, Reuben Mills l’acquiert. Il faisait aussi partie d’une famille de meuniers, son père Moses ayant participé à l’installation de plusieurs moulins, dont le moulin Westover et celui construit par Paul Holland Knowlton. Les cartes anciennes font état d’un chemin Mills, aujourd’hui disparu, qui partait un peu avant le pont de la rue Maple et montait vers la rue Highland (voir la carte ci-dessous). Il était de pratique courante à l’époque de donner aux chemins le nom du principal propriétaire riverain.
Le fils de Reuben, Frédérick, a repris le flambeau lorsque son père a été trop âgé pour exploiter le moulin. Frederick est mort en 1898 avant son père qui est décédé en 1903. On ne sait pas si quelqu’un de la famille a continué à faire fonctionner le moulin jusqu’à ce qu’il cesse ses activités en 1911.
Reuben Mills est enterré au cimetière Fairmount situé presqu’en face du moulin, de l’autre côté de la rue Maple.
Le fonctionnement d’un moulin à grain
La méthode utilisée dans les moulins du milieu du 19e siècle, était de verser le grain à moudre dans la trémie qui fournissait le grain aux meules fonctionnant à l’aide de roues actionnées par l’eau de la rivière. Les meules étaient « parées » de sillons et à mesure qu’elles tournaient l’une sur l’autre, elles écrasaient le grain et le poussaient vers l’extérieur pour qu’il s’écoule au bord des meules. À partir de là, la mouture était transportée sur un tapis roulant, lui aussi fonctionnant grâce à une roue d’eau, jusqu’à un dispositif de tamis séparant la farine du son. (Extrait d’un article de Hillari Farrington publié dans le Tour de Sutton, volume 8, no 4, été 1991.)
Le village de Sutton avait aussi ses moulins à bois à la fin du 19e siècle pour alimenter ses industries. C’est un facteur de développement important. Le Sutton Pioneer* annonçait dans son édition du 16 octobre 1879 la construction par Samuel Doray d’un atelier sur la rue Mountain (renommée la rue Maple) qui serait alimenté en énergie par le moulin en amont sur la rivière. La manufacture de cercueils Godue, située sur la même rue tout juste passé le pont, avait son propre moulin à scie. Il y en avait un autre tout juste en face, de l’autre côté de la rue, là où se dresse encore un ancien bâtiment industriel. Enfin, celui de la Sutton Lumber longeait la rivière un peu plus bas avant d’arriver au pont de la rue Principale. Tous ces moulins fonctionnaient à la vapeur et l’eau des bouilloires servant à produire la vapeur était puisée dans la rivière.
* Le Sutton Pioneer a été publié pendant quatre mois seulement à la fin de 1879 et au début de 1880. Pour en savoir plus voir le numéro 12 des Cahiers d’histoire.
L’eau de la montagne, une ressource précieuse
La rivière Sutton est encore aujourd’hui d’une importance vitale pour la population urbaine de Sutton. Elle fournit l’eau potable qui alimente l’aqueduc municipal. L’histoire de cet aqueduc remonte à la fin du 19e siècle.
Avec la croissance d’un noyau villageois, la nécessité d’un aqueduc alimenté recevant par gravité les eaux de la montagne s’impose. Entre 1885 et 1895, des investisseurs privés créent la Sutton Water Supply Co et construisent un premier aqueduc dont le réservoir est situé sur la colline au sud-ouest de la rue Larivée.
Le village de Sutton devient une municipalité distincte du canton en 1896. À peine élu, le conseil de la nouvelle ville envisage l’expansion de l’aqueduc afin de desservir l’ensemble de sa population et d’assurer une meilleure protection contre les incendies. La Sutton Water Supply Co. offre de construire un second réservoir et d’augmenter la capacité de son réseau en échange d’une exclusivité de 24 ans.
Avant qu’une décision ne soit prise, le feu frappe dans la nuit du 15 avril 1898 et détruit quelque 35 bâtiments au cœur du village. Dès la réunion du Conseil du 2 mai, un ingénieur est chargé d’établir un devis pour doter la ville d’un système d’aqueduc adéquat. Finalement, bien que la Sutton Water Supply Co ait amélioré son offre, la ville décide d’acheter la compagnie et de transformer elle-même les installations.
La carte des tarifs
La carte des tarifs du futur aqueduc est votée à la réunion du Conseil du 26 octobre 1898. La facture d’une famille de six personnes est de 6 $ par année plus 0,50¢ par personne additionnelle. Il faut débourser 2 $ pour un bain ou pour l’alimentation en eau d’une grange abritant un animal. Les tarifs industriels seront fixés plus tard par un « water committee ».
L’aménagement du nouvel aqueduc municipal implique la mise en place de deux kilomètres de conduites, la construction d’un barrage, d’une prise d’eau et d’un réservoir sur la rivière Sutton. L’endroit est choisi en raison de la présence d’une solide emprise rocheuse au centre de la rivière, sur laquelle asseoir le barrage. Même si le barrage est aujourd’hui presque complètement détruit, cette emprise est toujours bien visible de même que l’entrée de la prise d’eau.
La capacité de ce nouvel aqueduc a contribué à la croissance de Sutton. De nouvelles industries se sont implantées et la Ville a signé un lucratif contrat pour approvisionner en eau le chemin de fer Canadien Pacifique.
À la fin des années 1920, la capacité de l’aqueduc municipal n’est plus suffisante et des améliorations sont nécessaires. Une nouvelle prise d’eau sera construite plus haut dans la montagne. Toutefois, il faut d’abord s’assurer que l’eau ne sera pas contaminée par les activités agricoles en amont. En 1936, la Ville décide d’acheter un petit étang, le Mud Pond, et les terrains situés plus haut que la nouvelle prise d’eau. Les lacs Vogel et Spruce sont aussi utilisés comme réservoirs.
Un barrage en béton est construit au Mud Pond dans les années 1950 pour améliorer sa capacité de retenue d’eau. L’accès se fait par le Vieux-Chemin, qui servait depuis des années à transporter au village la glace que l’on découpait en hiver, et à sortir le bois de la forêt et les planches du moulin à scie implanté à la traverse du ruisseau où se déverse l’eau du réservoir.
Quand l’eau devient glace
Le Mud Pond gèle en hiver. Il fournissait alors la glace dont on se servait pour la conservation des aliments. La glace était découpée en blocs avec des scies spéciales longues et effilées. Les blocs étaient manipulés avec des gaffes et des pinces jusqu’au transport qui les amèneraient à la glacière. Les fermiers avaient aménagé la leur dans un bâtiment, séparé ou attenant à la maison ou à la grange; les marchands de glace disposaient d’entrepôt. Les blocs de glace étaient entassés les uns contre les autres entre d’épaisses couches de bran de scie qu’on se procurait au moulin à bois. La glacière était vidée au fur et à mesure des besoins, jusqu’au prochain hiver.
L’ouverture de la station de ski Mont-Sutton en 1960 fait bondir la demande en eau potable et menace la qualité de l’approvisionnement de la ville. Celle-ci cherche de nouvelles sources d’eau. Des puits sont creusés jusqu’à la nappe phréatique. Pour soutenir le développement résidentiel dans la montagne, un réservoir de 200 000 gallons est construit en 1984 en haut du chemin Réal en même temps qu’un système municipal de traitement de l’eau est installé. Ce ne sera pas suffisant. En 2000 et 2001, des camions-citernes doivent distribuer de l’eau durant l’hiver aux résidents de la montagne. En 2002, deux nouveaux réservoirs d’une capacité de deux millions de litres (dix fois la capacité précédente) sont aménagés juste en dessous de Val-Sutton.
Les eaux de la montagne ont joué un grand rôle dans le développement de Sutton. Elles représentent encore aujourd’hui une richesse collective qu’il est essentiel de préserver, en quantité comme en qualité.
Pour en savoir plus, lire les Cahiers d’histoire no 8 (p.17) et no 10 (p.39).